Personne ne sait vraiment d’où vient la technique «crazy »…. ou plutôt cette façon de juxtaposer des pièces au hasard, sans chercher à assortir ou à régulariser tailles ou couleurs. Marie Webster dit qu’on trouve déjà des exemples de crazy dans les tombes égyptiennes (vive les pyramides!)
On peut penser que le crazy est au départ la réponse naturelle à la pauvreté: fabriquer ou acheter un vêtement neuf était extrêmement coûteux. Ceux qu’on possédait étaient donc utilisés aussi longtemps que le tissu voulait bien résister, et on les rapiéçait encore et encore…. avec ce qu’on avait sous la main. De nombreuses peintures montrent des personnages ainsi vêtus de robes, tabliers ou culottes renforcés de morceaux de différentes couleurs.
Peu à peu, les couturières se sont efforcées d’utiliser des tissus de même nature ( à moins que tous leurs vêtements n’aient été confectionnés à partir du même style de tissu). C’est ainsi que j’ai vu aux Etats Unis des crazy confectionnés à partir de lainages fins. Un simple point de chausson recouvrait toutes les coutures. Là aussi on ne sait pas si la broderie qui recouvre les coutures avait pour but de renforcer le tissu ou de donner une unité à l’ensemble.
Certains disent que le crazy quilt est lié à une certaine aisance financière car les blocs sont composés d’une base qu’on recouvre avec les pièces de couleur. C’est possible, mais pas certain, car on peut utiliser pour ce fond n’importe quelle sorte de tissu , on pourrait par exemple utiliser des morceaux de draps trop usés pour qu’on puisse en faire autre chose. Et le principe même du crazy, qui consiste à poser les morceaux les uns à côté des autres sans les retailler permet d’utiliser les chutes sans perte supplémentaire.
Pour nous le terme crazy quilt évoque immédiatement les extraordinaires couvertures exécutées par les femmes de l’ère victorienne : faits de tissus précieux, abondamment rebrodés et perlés (en Angleterre surtout) ils sont d’une beauté à couper le souffle.
Le crazy quilt victorien n’est certainement pas un produit de la pauvreté : la richesse des tissus et la sophistication des broderies montre à l’évidence qu’ils sont sortis des mains de femmes qui avaient de l’argent … et du temps. De ces femmes qu’une abondante domesticité délivraient des tâches ménagères mais qui se devaient d’avoir les mains occupées car une femme ne doit pas rester oisive. Le résultat nous émerveille encore aujourd’hui.
Ce crazy anglais des années 1850 est composé de centaines de petits morceaux de taffetas, soies et velours. La broderie est relativement simple: un point de chausson fait de coton perlé jaune couvre toutes les coutures. La petite taille des pièces ne permettait pas les fantaisies que l’on peut voir sur d’autres quilts. Ce quilt m’avait séduite et je l’ai acheté à une amie belge qui vendait des quilts anciens. Nous nous sommes aperçues en le regardant de près que quelqu’un avait soigneusement découpé les pièces endommagées autour de la broderie, laissant apparaître le fond de toile blanche. Mon amie était désolée mais j’ai insisté pour acheter tout de même le quilt et je l’ai restauré. Cela m’a appris des tas de choses sur la durée de vie des tissus ( les taffetas sont les premiers à « brûler », puis les soies, les velours sont les plus résistants) et les techniques de confection de ces quilts.
En principe il n’y a pas de « règle » qui gouverne la construction du crazy. Beaucoup sont construits comme l’exemple ci-dessus à partir de blocs juxtaposés. Et c’est pourquoi ils donnent souvent une impression chaotique. Ce n’est qu’en les regardant au niveau du détail qu’on voit à quel point ils sont beaux, justement en raison du travail de broderie impliqué.